tribune libre : "Justifier l’injustifiable ou le syndrome opportuniste ?"
Un papier de l'historien Jean Vigreux en réponse à F. Rebsamen :
« Nous ne perdrons pas notre âme en soutenant Georges Frêche » (François Rebsamen, Le Monde 19 février 2010). Dans cet article le sénateur-maire de Dijon nous invite à un réalisme électoraliste qui peut se comprendre. Toutefois, il me semble que le vieil adage stalinien « combien de divisions » (le poids du nombre) l’emporte sur les valeurs qui caractérisent l’idéal socialiste. Est-ce que la fin justifie les moyens ? Le renoncement sur les principes est la maladie sénile du socialisme. L’histoire bégaye. Le processus ayant conduit à la mort de la SFIO se répèterait-il ? Sans doute. A force de penser la politique, voire la respublica, en termes électoralistes, le pari est risqué et dangereux ; le fossé se coupe entre les « élus » et l’ensemble de la société. Le parti n’est pas uniquement un réseau d’élus locaux, mais c’est une force de proposition qui s’appuie sur une éthique pour changer la vie… Non, tout n’est pas permis : les dérapages verbaux ne sont que le reflet d’une dérive nauséabonde. Regardons notre histoire et tirons en les leçons salvatrices. De qui se souvient-on :
- des néo-socialistes ou du Front populaire ?
- de Paul Faure ou de Léon Blum ?
- de l’envoi du contingent en Algérie par Guy Mollet dirigeant la SFIO ou de la dénonciation d’une guerre coloniale par le PSA, puis le PSU ?
- de Gaston Defferre en 1969 ou de François Mitterrand en 1981 ?
On nous objectera sans doute que G. Frêche est très bien implanté, que tous les sondages sont en sa faveur, etc. Mais pourquoi ? Les réseaux tissés depuis des dizaines d’années, les rapports de clientélisme permettent entre autres de comprendre comment le fief est bien construit et verrouillé, tel un système néo-féodal. Le culte de la personnalité que nous avons toujours rejeté face aux staliniens, revient en force à l’échelle locale ; les effets induits d’une telle pratique aveuglent nos édiles entourés de courtisans, de laquais et d’alimentaires… Il ne s’agit pas ici de considérer que toute l’œuvre de G. Frêche soit mauvaise, loin s’en faut ; tant son travail historique sur la Révolution française reste remarquable, tout comme son embellissement de Montpellier, mais on aurait pu attendre beaucoup mieux d’un homme cultivé que ses lamentables excès de langage. Est-ce l’effet de l’usure du pouvoir ?
Enfin, avancer le vieux débat Paris/Province, Centre/Périphérie est intéressant à plus d’un titre. D’abord, c’est un effet de loupe du localisme qui ne permet pas d’envisager d’autres approches multiscalaires ; que reste-t-il alors des analyses emboîtées ? C’est aussi un réflexe facile qui flirte avec l’agrarisme des années 1930, un populisme de bon aloi... Prenons un peu de hauteur, donnons de l’épaisseur à la réflexion.
Penser en ces termes correspond à une vision étriquée et purement comptable, pour ne pas dire boutiquière, celle des combinaisons (« combinazione ») qui ont laminé la gauche social-démocrate en Italie ou en Allemagne. C’est pourquoi il ne faut pas transiger avec les principes et refuser toute compromission. La perte de l’idéal gangrène la vie politique… Il est vrai cependant que l’on aurait dû imposer une autre tête de liste socialiste bien avant…
Il n’est pas interdit de réfléchir, de penser, bien au contraire, ne faut-il pas profiter de cet événement pour refonder notre identité, nos pratiques et dépasser les vieux démons d’une certaine SFIO sur le déclin ?